Monsieur Jean Hartweg, secrétaire de l'association Lou Bachas de Molines, m'a demandé de mettre sur le forum cet avis. Attention, cette avis est le sien et n'engage pas l'association Lou Bachas de Molines.
De la cloche de l’Ecole
Antilogie molinesque
I. Contre le transfert de la cloche
En 1882, les lois adoptées à l’initiative du ministre de l’Instruction Publique Jules Ferry instituèrent l’école laïque, gratuite et obligatoire dans toutes les communes de France. La cloche réglait alors un emploi du temps identique dans toutes les écoles primaires : leçon de calcul ou de grammaire débutaient à la même heure. A Molines comme à Girond, la maison de l’instituteur domine légèrement le toit de l’école : symbole d’une autorité modérée. Partout la plume Sergent major traçait ses pleins et ses déliés à l’encre violette. Contre les reîtres prussiens, l’instruction du peuple de la république une et indivisible formait les enfants des campagnes à l’école pacifique des hussards de la république, en dehors de toute dérive cléricale ou patoisante.
La cloche offerte à leur école par les habitants de Molines sous la IIIe République est le signe d’un accord sur la nécessité de l’instruction pour tous. Elle ne célèbre pas romantiquement l’angélus invitant les moissonneurs au recueillement ; elle ne sonne pas dramatiquement le tocsin ; elle instaure une discipline, qui est respect de la ponctualité et d’un rythme, le même pour tous. Jeu et sérieux, garçons et filles, monde du travail et monde de l’école sont nettement séparés. Plus tard, à l’Ecole normale d’instituteurs, les plantes et les arbres auront leurs noms, bien consignés sur un écriteau, comme dans les jardins de simples que l’on reconstitue actuellement. A chaque herbe sa dénomination, à chaque simple sa vertu.
Ravir la cloche, c’est détruire cet ordre républicain. Sa place est à l’entrée de la classe, où elle rappelle que le premier devoir est d’être à l’heure, de ne pas remettre à plus tard ce qui peut être fait aujourd’hui. Elle est unique, austère, et ne se risque pas aux fantaisies mélodiques des carillons flamands. Signe d’un impératif catégorique, elle ne peut, par complaisance, aller ailleurs, tout comme l’aiguille du cadran solaire,une fois posée, ne peut vagabonder sur un pente exposée autrement sous peine de perdre sa justesse. Elle marque un lieu de mémoire : mémoire de l’heure, mémoire des leçons, mémoire des générations qui ont suivi les leçons du même instituteur.
Enlever la cloche, c’est donc faire perdre les repères, déboussoler tout un village, desceller l’étoile polaire qui guide le navigateur sur la mer hasardeuse et pleine de tumulte des révolutions de toutes sortes. Ce qui était nécessité intangible devient ornement superflu, ce qui était incitation à l’ascèse et aux difficiles apprentissages devient stimulation des plus bas instincts, de Messer Gaster, le cuisinier qui, gavant ses concitoyens de quiches et de pizzas, leur fait oublier leur âme dans les vapeurs délétères d’une piquette à l’efficacité sournoise. Le toit de l’Ecole se perdait dans le bleu du ciel ; celui du four à pain s’enveloppe des fumées des rôtis.
J.H.
II. Pour le transfert de la cloche
« La cloche de l’Ecole doit rester à l’école » : la formule a la force d’une évidence. Mais il y a des évidences trompeuses. Doit-on rester à l’école parce qu’on l’a fréquentée ? Le meilleur écolier est celui qui en sort avec les honneurs. Les partisans de cette cloche sédentaire veulent assigner à résidence une cloche qui ne sonne plus depuis des décennies. Devons-nous nous attarder sur ce lieu de mémoire comme dans le musée d’une instruction qui n’est plus ? Verser un pleur hypocrite sur une cloche au gosier vigoureux, peut-être, mais qui ne sonne plus ? A multiplier de tels regrets, à marquer chaque lieu de mémoire d’une pierre blanche, on transforme les villes en musées, et les campagnes en cimetières.
Qui a dit que les cloches ne devaient pas voyager ? Autrefois, leur son se propageait de clocher en clocher, emplissant tout l’espace. Une tradition, ultramontaine sans doute, veut que les cloches fassent le vendredi saint le voyage de Rome pour en revenir le matin de Pâques. Et une cloche qui fait l’aller et retour de Rome en trois jours ne pourrait en un an aller de l’école au four, voire au moulin ou au bachas ? Le vrai garant de la mémoire, c’est la communauté qui a offert la cloche à l’école. Or celle-ci se perpétue de génération en génération. Jean-Jacques Rousseau, dont on célèbre le tricentenaire cette année, a affirmé que la volonté générale ne peut errer. Se trompe-t-elle seulement quand elle veut déplacer une cloche ? Une cloche n’est pas une borne.
Le vol de la cloche est une formule ambiguë : envolée glorieuse de Pâques ou plus simplement de la cloche que l’on fait sonner à toute volée ? Ou vol furtif, déménagement à la cloche de bois d’une cloche récalcitrante, qu’un morceau d’étoupe, glissé comme un bâillon entre la paroi et le battant, empêche de crier son indignation ? Le mot même de « transfert » est suspect, tant il est lourd d’implications psychanalytiques : au transfert de la cloche de l’école, domaine du savoir, au four, domaine de la jouissance, répond un contre-transfert qui lutte contre cette dictature du ventre et remplace les joies du plaisir goûté en commun autour d’une table bien garnie par l’aspiration au savoir, aux archives, celles-ci fussent-elles départementales.
Le statut de la cloche, merveilleusement instable, est comme une invitation au voyage : le mur de l’école appartient sans conteste au particulier propriétaire des lieux. La cloche demeure, au moins symboliquement, bien commun des habitants de Molines, quoique cette communauté n’ait aucun statut juridique. Enfin, l’applique porte l’équivoque à son comble : scellée dans le mur, elle en a la permanence et la solidité obstinée ; mais une attache mobile permet à la cloche de battre, et malgré son poids, on peut la décrocher. Or cette applique est l’image même de l’enseignement, qui s’attache avec application à des objets fixes, à l’édifice intangible du savoir, pour susciter le mouvement des idées, originales et différentes d’un écolier à l’autre. Figer la cloche au mur qui la tient, c’est arrêter la pensée, chose mobile et semblable aux abeilles. H.J.
Si nous ne voulons pas être cloches, transportons la cloche, mais gardons-nous bien de l’arrêter quelque part.
Conclusion :
Nous l’emprunterons à Maître Janotus de Bragmardo, docteur en Sorbonne :
« Omnis clocha clochabilis, in clocherio clochando, clochans clochativo, clochare facit clochabiliter clochantes. »
Rabelais,Gargantua chapitre 19
Pcc. J.H.H.J.